Le conflit avec le M23 dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) pourrait connaître un tournant décisif. Depuis plusieurs semaines, les rebelles ont pris le contrôle de deux importantes villes, capitales provinciales, et tentent de progresser vers d’autres agglomérations dans le Nord et le Sud-Kivu.
Face à cette avancée fulgurante, la communauté internationale a multiplié les appels aux autorités congolaises pour entamer des pourparlers en vue d’une désescalade. Toutefois, Kinshasa a toujours affiché une position intransigeante : il n’est pas question de négocier avec les assaillants.
Alors que la situation s’enlise et que l’issue du conflit demeure incertaine, un sommet extraordinaire de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) est prévu ce jeudi 13 mars pour examiner de nouveaux paramètres visant à favoriser l’apaisement.
Félix Tshisekedi joue-t-il au cache-cache ?
Dans ce contexte tendu, Félix Tshisekedi s’est rendu précipitamment à Luanda, en Angola, pour rencontrer João Lourenço, facilitateur désigné de l’Union africaine dans le conflit rwando-congolais, sans implication directe du M23. Et contre toute attente, un communiqué de la présidence angolaise a annoncé une initiative de négociations directes entre Kinshasa et la rébellion.
L’initiative vient-elle de Félix Tshisekedi ?
Selon plusieurs analystes spécialisés en sécurité régionale, cette démarche serait bel et bien une initiative des autorités congolaises, bien que le gouvernement évite d’aborder le sujet de manière explicite.
Après l’échec de la rencontre tripartite entre Paul Kagame, Félix Tshisekedi et João Lourenço, le 15 décembre 2024, le président angolais semblait prendre ses distances avec la facilitation du dossier. Par ailleurs, la SADC et la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), réunies récemment en session bipartite, ont décidé de fusionner les processus de Luanda et de Nairobi sous la supervision de trois nouveaux facilitateurs, excluant ainsi João Lourenço.
Dans ce contexte, l’annonce de discussions directes par Luanda semble indiquer que Kinshasa a discrètement sollicité cette médiation, malgré ses déclarations publiques réaffirmant son refus de dialoguer avec le M23.
Patrick Muyaya, porte-parole du gouvernement, a suggéré que cette démarche s’inscrit dans le cadre de la résolution 2773 des Nations unies. De son côté, Tina Salama, porte-parole de la présidence congolaise, a déclaré que Kinshasa « prenait acte et attendait la mise en œuvre de cette médiation angolaise », signe d’un embarras quant à l’initiative elle-même.
La pression sur Kinshasa est indéniable. Malgré la rhétorique officielle, la perte de contrôle de Goma et Bukavu, ainsi que la paralysie de leurs aéroports, place le gouvernement dans une position délicate. L’interruption des activités à l’aéroport international de Goma, notamment, a des conséquences stratégiques et économiques considérables.
Le régime Tshisekedi piégé par son propre discours
Jusqu’où ira Kinshasa ? Si la médiation angolaise aboutit, le gouvernement acceptera-t-il de s’asseoir à la table des négociations avec les rebelles ?
Depuis le début du conflit, le régime de Félix Tshisekedi a adopté une rhétorique inflexible, considérant le M23 comme un groupe terroriste manipulé par Kigali. Cette posture a été réaffirmée à maintes reprises par le président congolais lui-même :
« Jamais, alors jamais, tant que je serai président de la RDC, je n’aurai en face de moi une délégation du M23 ou de l’AFC. Jamais. »
Cette ligne dure a été réitérée le 22 février dernier, lors d’une rencontre entre le chef de l’État et les acteurs politiques de l’Union sacrée. À cette occasion, la présidence congolaise avait martelé que négocier avec le M23 était inenvisageable pour plusieurs raisons :
La souveraineté de la RDC ne saurait être compromise.
Le M23 n’a aucune légitimité et est responsable de crimes graves.
Le mouvement est une façade du Rwanda, cherchant à imposer ses intérêts sous couvert de revendications congolaises.
Toute discussion doit se faire dans le cadre du processus de Nairobi, qui prévoit un désarmement des groupes armés.
Par ailleurs, la justice congolaise a récemment condamné à mort plusieurs responsables du M23 pour terrorisme. Les biens de Corneille Nanga et de certains de ses collaborateurs ont été saisis par l’État. En parallèle, Constant Mutamba, ministre de la Justice, a annoncé une prime de 5 millions de dollars pour la capture des principaux leaders du M23 : Corneille Nanga, Bertrand Bisimwa et Sultani Makenga.
Un piège diplomatique
Pour de nombreux observateurs, ce positionnement radical complique désormais toute tentative de dialogue. En cas de négociations, Kinshasa risquerait une perte de crédibilité sur la scène internationale et donnerait l’image d’un régime incapable de tenir ses engagements.
Pris dans l’étau d’un conflit qui s’aggrave et d’un discours qui limite ses marges de manœuvre, Félix Tshisekedi se retrouve aujourd’hui face à un dilemme : maintenir une posture inflexible au risque de prolonger la guerre, ou accepter des discussions qui, bien que pragmatiques, pourraient l’exposer à de sévères critiques internes et externes.
Kilemasi Muhindo