Par Romain Gras-envoyé spécial à Kinshasa/JeuneAfrique
Mais s’il se présente lui-même comme un « enfant de l’Église catholique », qu’il fréquente encore parfois, le chef de l’État congolais assume avoir pris « d’autres options » pour sa vie personnelle et se dit aujourd’hui plus proche des milieux évangéliques. La religion imprègne jusqu’à divers aspects de son quotidien de président, plusieurs pasteurs exerçant, de manière plus ou moins officielle, une influence certaine.
L’un d’eux a particulièrement donné de la voix, le 23 juin 2019. « C’est la fin de la honte, la fin de l’opprobre, la fin de l’humiliation, la fin de la pauvreté, aujourd’hui c’est le début du développement, de la croissance à tous les niveaux et dans tous les domaines de la vie de ce pays”, s’est-il enthousiasmé en introduction au culte au stade des Martyrs. Assis à la droite du chef de l’État, l’homme en tunique bleu ciel qui s’époumone au micro s’appelle Jacques Kangudia. C’est un proche confident de Félix Tshisekedi depuis plusieurs années.
Méga-Église
Formé à la Church of God Mission, une méga-église établie à Benin City, au Nigeria, à la fin des années 1960, Jacques Kangudia dispose d’un vaste réseau dans les milieux évangéliques africains. Félix Tshisekedi a fait sa connaissance à Bruxelles. Nous sommes au début des années 2010 et Kangudia dirige le culte du centre Sion, où il est un jour amené par un ami commun. Sur fond de discussions sur leurs fois respectives, les deux hommes se rapprochent. Lorsque Tshisekedi entre en campagne aux côtés de Vital Kamerhe à la fin de 2018, Kangudia dispose d’un siège dans le petit avion de 20 places qui sillonne le pays.
Après l’élection de 2018, Jacques Kangudia conforte sa position dans un entourage présidentiel pléthorique et parfois indéchiffrable. Organisateur de la journée d’action de grâce du 23 juin 2019, il est reçu le lendemain à la Cité de l’Union africaine pour un discret dîner de remerciements. Il est impliqué dans la plupart des cérémonies religieuses officielles et ses fonctions dépassent bientôt le strict domaine de la foi.
En juillet 2019, Félix Tshisekedi le nomme à la tête d’une nouvelle structure, la coordination pour le changement des mentalités (CCM). Directement rattachée à la présidence, cette agence est destinée à « sensibiliser » à la lutte contre la corruption. Kangudia y est assisté par deux autres pasteurs : Justin Benda Sana et Jacques Kambala Tshilombo. Il est notamment chargé d’interagir avec les ONG spécialisées, même si plusieurs d’entre elles assurent avoir pris leurs distances avec le CCM.
À Kinshasa, certains vont jusqu’à lui prêter un ascendant sur le fonctionnement interne de l’Église de réveil au Congo (ERC), l’une des huit organisations qui représentent les confessions religieuses en RDC. En août 2020, alors que le chef de l’ERC, le pasteur Sony Kafuta, vient d’être suspendu, certains de ses membres l’accusent d’avoir orchestré la crise en coulisses.
Un mois plus tard, le pasteur Israël Dodo Kamba est hissé à la tête de l’ERC, avec le soutien présumé de Jacques Kangudia, ce que ce dernier dément. Et alors que la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) et l’Église du Christ au Congo malmènent Félix Tshisekedi et sont vent debout contre la nomination de Denis Kadima à la tête de la commission électorale, l’ERC finit par apporter son soutien à ce candidat accusé par certains d’être proche du chef de l’État congolais.
De Johannesburg à Accra
Dans un pays où foi et politique entretiennent une relation plus étroite qu’ailleurs, l’influence des milieux pentecôtistes offre un véritable canal de mobilisation. D’autant que certaines de ces Églises disposent d’une audience qui va bien au-delà du Congo. C’est notamment le cas du Ministère du combat spirituel (MCS), fondé par le couple Olangi, dont l’un des fils, le pasteur Paul-David Olangi, a ses entrées à la présidence. On compte ainsi, parmi les très nombreux adeptes du MCS, l’ancienne première dame ivoirienne, Simone Gbagbo, qui avait rencontré Félix Tshisekedi en octobre 2021, à l’occasion des trente ans de l’Église.
Ces connexions religieuses sont aussi un carnet d’adresses parallèle qui peut s’avérer utile en période de campagne. De passage en Afrique du Sud en juin 2018, Félix Tshisekedi, tout juste élu à la tête de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), avait été accueilli en grande pompe par Alph Lukau, star controversée des milieux évangéliques sud-africains. Pasteur d’origine congolaise, il avait offert à l’opposant d’alors une tribune pour évoquer la situation politique en RDC, avant de prier pour lui devant les fidèles de son Alleluia Ministries International.
Quatre mois plus tard, en octobre 2018, alors qu’il était déjà candidat, Tshisekedi avait profité de son passage à Accra pour rencontrer l’archevêque ghanéen Nicholas Duncan-Williams. Très connu en Afrique de l’Ouest, proche du président du Ghana, Nana Akufo-Addo, ce dernier l’avait reçu dans son église avant de le bénir sur scène et de « prédire » sa victoire.
Nicholas Duncan-Williams a par la suite été convié à l’investiture du président congolais, en janvier 2019, et les deux hommes sont restés en contact. En avril 2021, le Ghanéen s’est rendu dans la riche province minière du Lualaba. Il y a été accueilli au pied de l’avion par la gouverneur de la province, Fifi Masuka. Il était accompagné d’un homme en costume bleu marine cintré ; c’est lui qui l’a présenté aux officiels congolais qui se trouvaient sur le tarmac.
Entre politique et business
Ce discret personnage, c’est Olivier Tshilumba Chekinah, le pasteur qui a mis Félix Tshisekedi et Nicholas Duncan-Williams en relation. Le nom de ce businessman de 52 ans revient dans un grand nombre de dossiers. Militant pour l’UDPS dès la fin des années 1980, il s’installe au Canada avant la chute de Mobutu et y dirige une église. Le jeune pasteur ne se rapproche de Félix Tshisekedi qu’après l’élection présidentielle de 2011, que remporte Joseph Kabila mais de laquelle Étienne Tshisekedi revendique la victoire. Entre les deux hommes, la connexion est politique avant d’être religieuse.
S’il se défend d’avoir une quelconque influence sur les orientations prises au sommet de l’État et n’apparaît dans aucun organigramme officiel, Olivier Tshilumba Chekinah échange régulièrement avec le président sur la situation du pays et intervient aujourd’hui sur plusieurs terrains, du milieu des affaires à celui de la diplomatie de l’ombre. Parmi les proches de Félix Tshisekedi, on lui prête même une influence sur certaines nominations.
Il est en outre réputé proche du chef d’état-major de l’armée, Christian Tshiwewe Songesha, qui est aussi pasteur, ainsi que de Jean-Hervé Mbelu Biosha, le patron de l’Agence nationale de renseignements (ANR). Contacté, l’entourage du pasteur assure que le rôle qui lui est prêté est fortement exagéré. « Quand il a des idées, il les partage au chef de l’État, mais cela ne va pas plus loin, il n’a fait nommer personne », assure un familier d’Olivier Tshilumba Chekinah.
Il n’en reste pas moins perçu, au sein d’un cabinet pléthorique, comme l’un des hommes qui a l’oreille du président. L’un de ceux par lesquels politiques ou hommes d’affaires peuvent tenter de faire passer des messages.
En mars 2019, Olivier Tshilumba Chekinah a en effet créé la société de conseil OL Consult, à travers laquelle il porte les intérêts de divers investisseurs désireux de se positionner sur des projets d’infrastructures ou miniers. Il a ensuite participé, en juin 2019, à la mise sur pied de First Capital Mining & Energy, dont les activités sont similaires à celles d’OL Consult. Pour cette seconde société, il s’est associé au groupe SK Global Investment, dirigé par l’homme d’affaires ivoirien Stéphane Kipré, gendre de Laurent Gbagbo. Et parmi les investisseurs dont Chekinah a défendu les intérêts figure le minier australien Fortescue Metals Group, qui s’intéresse au barrage Grand Inga. Selon deux proches du chef de l’État, il est aussi un des interlocuteurs du Kazakh Eurasian Resources Group (ERG), actif dans le secteur minier congolais depuis de nombreuses années et longtemps en conflit avec la Gécamines autour du projet de Boss Mining. Contacté, le groupe ERG n’a pas répondu à nos sollicitations.
Signe de la confiance que lui témoigne le chef de l’État, on trouve aussi Olivier Tshilumba Chekinah associé à l’un des dossiers les plus sensibles de ces deux dernières années : l’accord signé entre le gouvernement et le groupe de Dan Gertler. Familier des réseaux d’affaires israéliens (il a notamment contribué au passage de Félix Tshisekedi devant le lobby américain pro-Israël American Israel Public Affairs Committee [Aipac], en mars 2020), Chekinah a rencontré Gertler et l’un de ses intermédiaires, le rabbin Avraham Moyal, à Tel-Aviv, en 2022. Assurant un rôle de conseiller plus que de pasteur auprès de Félix Tshisekedi, il n’intervient finalement pas vraiment dans le domaine spirituel.
Roland Dalo, le « père spirituel »
Ce rôle, c’est celui qui incombe à Roland Dalo, le fondateur du Centre missionnaire Philadelphie (CMP), l’Église personnelle du chef de l’État. Figure incontournable des milieux pentecôtistes congolais, Dalo a d’abord été l’assistant du célèbre pasteur suisse Jacques André Vernaud.
Installé au Congo dans les années 1960, Vernaud érige au milieu des années 1980 La Borne, la première méga-église de la capitale congolaise, où Dalo œuvre avant de créer, en février 2008, sa propre Église. « Philadelphie devient rapidement un lieu prisé des fidèles et de la classe politique congolaise. Outre le couple Tshisekedi, la grande tente du CMP a vu défiler l’ancien ministre Thomas Luhaka, le sénateur Moïse Nyarugabo, l’ex-président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), Corneille Nangaa, ou encore l’opposant Martin Fayulu.
En 2018, à l’approche de la présidentielle, le CMP comptait donc parmi ses fidèles deux des principaux candidats. Et après l’échec, en novembre de la même année, de la réunion de Genève qui devait permettre de dégager un candidat unique pour l’opposition, Philadelphie fut bientôt l’un des seuls endroits où Tshisekedi et Fayulu se croisaient encore.
Martin Fayulu : « Félix Tshisekedi va devoir partir »
Leur dernière rencontre sous la tente du CMP a eu lieu le 3 février 2019. Pour le premier office célébré après l’investiture de Tshisekedi à la tête de la RDC, les deux hommes ont participé ensemble au culte. À genoux, le nouveau président a reçu ce jour-là la bénédiction de plusieurs pasteurs, dont celle de Roland Dalo. Depuis, Martin Fayulu n’y est plus revenu. Il a aussi pris ses distances avec Dalo, à qui il reproche de s’être discrédité en prenant le parti de son rival. « L’Église a respecté son devoir de neutralité », assure pourtant l’un des pasteurs du CMP.
Le réseau CMP
Aujourd’hui, les liens noués entre Dalo et Tshisekedi sont plus étroits que jamais. Invité d’honneur aux mariages de deux des enfants du pasteur, le chef de l’État était aussi au premier rang lors des obsèques de son père, en août dernier. Dalo, lui, participe souvent aux célébrations religieuses officielles. Le culte privé célébré chaque dimanche à la Cité de l’Union africaine est d’ailleurs organisé par les principaux pasteurs de Philadelphie. Fidèles de longue date de l’Église, membres de la famille présidentielle, politiques… Ces moments de recueillement sont aussi des lieux où il fait bon soigner ses réseaux. L’accès, bien sûr, en est strictement contrôlé.
Qui constitue le premier cercle de Denise Nyakeru Tshisekedi, l’influente première dame ?
Plusieurs membres ou sympathisants du CMP occupent aujourd’hui des fonctions auprès du couple présidentiel ou dans des organismes de premier plan. Nouveau patron de l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN), Yves Milan Ngangay est réputé proche de Roland Dalo. Le pasteur Freddy Shembo, qui est déjà intervenu au CMP, a quant à lui été nommé en novembre dernier à la tête de l’agence qui a succédé au Bureau de coordination et de suivi du programme sino-congolais (BCPSC). Sans oublier la directrice de cabinet de la première dame, qui n’est autre que Nathalie Luamba, l’épouse du pasteur Ken Luamba. Enfin, la Fondation Denise Nyakeru Tshisekedi est gérée par un autre fidèle de Philadelphie, Joël Makubikua.
Bien que Roland Dalo délègue depuis 2016 la gestion du CMP, ses prêches continuent d’être assidûment suivis et commentés, surtout lorsqu’ils évoquent la situation politique. En mars 2022, il avait ainsi commenté la prochaine présidentielle, mentionnant « une course » avec « quatre coureurs principaux », dont deux seraient à l’en croire dans l’incapacité d’aller au bout. Il s’était bien gardé de révéler l’identité des deux infortunés et avait conclu : « C’est Dieu qui sélectionne qui il veut. »